Cendrillon (Malandain) du Ballet de Biarritz
Cendrillon, tout comme sa compère Blanche Neige, est un conte qui ne souffre pas toujours le passage au ballet. Ainsi la version de Noureev en ennuie plus d'un et avait en tout cas réussi à me dégouter de la partition de Prokofiev. Regain d'intérêt la saison passée avec Maguy Marin qui transposait ici l'univers dans une maison de poupées tout à fait adorable.
Thierry Malandain choisit délibérément de charcuter la partition pour ne garder que ce qui l'intéresse, notamment l'essentiel de l'histoire. Pas d'entracte, pas de pause pour l'oeil ou pour l'oreille, mais un ballet dense, qui se suit avec délice et intérêt. Le talent de Malandain est de savoir garder l'attention du spectateur qui se demande bien comment chaque épisode va être interprété. Je connais la partition et l'histoire et j'attends donc de voir s'il relève le défi. Finalement un pari bien gagné, l'ensemble est sobre, néo classique voire moderne et diablement efficace.
Chaussures, danse, Repetto. Le chausseur de la rue de la paix a fourni les escarpins noirs qui sont accrochés et forment le sobre décor de la pièce. Pas de fioritures de conte de fées: tout le monde connait l'histoire, Malandain refuse donc les artifices. Les costumes dans des couleurs douces ou simples (chaire, bleu pastel, noir, blanc) participent d'un ensemble raffiné, un cadre épurifié pour laisser davantage de place à la danse qu'au spectaculaire. Cela m'a fait penser à certains travaux de Robert Carsen en mise en scène.
La chorégraphie de Malandain repose avant tout sur une troupe que j'ai trouvée d'une jeunesse et d'une beauté remarquable. Le père de Cendrillon semble donc plutôt être le grand frère beau gosse, sa mère et bonne fée une cousine un peu plus âgée qu'elle. Qu'importe, on voit bien que ce sont les gens qui importent à Cendrillon mais qui ne peuvent maintenant plus rien pour elle. Elle est devenue adulte et doit subir elle même la violence sociale. (Je suis allé voir Into the woods de Sondheim au Châtelet et ai donc relu Bettelheim).
Trois hommes au crâne rasé, avec des robes aux couleurs plus éclatantes qui font résolument tâche, sont de merveilleux acteurs et danseurs dans les rôles de la marâtre et de ses filles. Malandain reprend d'ailleurs la terminologie Disney bien connue de Javotte et Anastasie. Ils sont drôles dans les scènes du cours de danse, de la couturière, en arrivant au palais, en essayant les chaussures. J'en suis presque troublé et essaie de me rappeler à quoi ces danseurs ressembleraient dans la vraie vie.
Le corps de ballet est remarquable d'énergie sans jamais tomber dans du vulgaire show. La scène du bal avec les mannequins noirs venus de chez Alaïa est une jolie démonstration de la cohésion de l'ensemble. Lors des dernières scènes du voyage du Prince et des retrouvailles, ils s'insèrent tous très bien dans les ensembles. J'ai particulièrement aimé Patrizia Velasquez comme guide du prince et de ses compagnons, une petite danseuse aux pointes mignonnes comme tout. Elle a eu des problèmes avec ses fouettés mais s'en remet rapidement.
Malandain mélange les inspirations de Grimm et Perrault, la marraine qui veille sur Cendrillon et à la fois sa mère et une fée. Pas de magie à proprement parler, mais une cohorte de petits esprits ou elfes qui l'entourent et soutiennent Cendrillon. Au nombre de douze, comme les heures qui finiront par s'échapper (rien d'innovant ici, comme chez Noureev les heures tombent et roulent avant de disparaitre).
La fée est la très élégante (et Grace Kelly-esque) Claire Lonchampt, femme souriante et résolument maternelle. La chorégraphie lui offre des pas de deux avec le père de Cendrillon (Raphaël Canet), très tendre et amoureux. À l'inverse de nombreuses interprétations scéniques, le père n'est pas un alcoolique, mais quelqu'un d'attentionné qui semble toujours rêver de sa femme défunte. On ne le voit donc presque pas avec la marâtre. L'histoire reste centrée autour de Cendrillon, on ne voit que son rapport à elle avec les autres personnages.
Je regrette néanmoins que le personnage éponyme s'efface quelque peu devant le reste du cast. Miyuki Kanei, dont les traits me rappellent ceux de la Blanche Neige de Preljocaj, est une danseuse attentionnée mais peut-être trop introvertie. Elle est très délicate, discrète, il aurait sans doute fallu un peu plus de force. Le contraste avec la belle famille en est donc d'autant plus fort.
Le double personnage du maître à danser et du chambellan du prince est quant à lui une autre forme de marraine, qui veille sur le prince (dont il est très proche) et Cendrillon. C'est le bondissant Arnaud Mahouy qui lance ses grands jetés sur scène. Je regrette presque de le voir rejoindre le corps de ballet à la fin tant il m'a plu en soliste. Sa chorégraphie était naturelle et s'intégrait parfaitement au reste.
Je ne dirai pas la même chose du Prince de Daniel Viczayo qui me rappelle décidément le Charmant de Shrek, il veut faire son beau gosse et sa chorégraphie, bien plus classique, veut dépasser le cadre posé par le reste de la troupe. Pirouettes, manèges qui semblent donc pour un temps faire un clin d'oeil aux adaptations classiques du genre. Il est souriant, moqueur lors de son bal, mais finit par se tordre de douleur en voyant les heures et Cendrillon s'échapper. Il finira très attentionné avec sa jolie princesse.
J'ai un peu de mal avec les derniers moments, Mandain semble n'avoir pas été très intéressé puisqu'il intègre les saluts à la chorégraphie. Le public balbutie un peu avant de comprendre. Si je trouve particulièrement touchant le pas de la fée et du père, la dernière ronde où tous les danseurs entourent le couple principal n'était pas frappante.
Le ballet passe très vite, le style est certes concis mais surtout pas ennuyant, on en ressort très content. Plus que du simple néo, c'est presque du néo néo classique, on respire, on se laisse flotter.