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La Loge d'Aymeric

Giselle[s] au Royal Opera House

26 Janvier 2014, 22:09pm

Publié par Aymeric

Représentations du 23 et du 25 janvier au Royal Opera House.

Deux spectacles aussi bien différents de mon point de vue en tant que public que du point de vue de la danse. Le premier soir, je me retrouve à l'amphi, bien de face mais surtout bien loin de la scène; le deuxième, côté cour, au dessus de l'orchestre, je pouvais presque toucher les danseurs.

La première soirée était surtout pour moi la découverte de cette oeuvre quasi sacrée du répertoire, la plus emblématique du répertoire romantique. La Sylphide parisienne de Lacotte m'avait en partie bien ennuyé, sauvée néanmoins par les danseurs (Heymann, Obraztsova notamment), le spectacle manquait de force d'intrigue et de danse emblématique.

J'ai trouvé Giselle réellement emblématique, un vrai spectacle sans pour autant avoir l'impression de voir devant moi un monument de musée. La séparation entre les deux actes parait initialement étonnant par rapport aux grands ballets russes en trois actes qui semblent plus équilibrés. De plus l'usage des pointes est pour le moins caractéristique du ballet français: on refuse la virtuosité, pour privilégier l'élégance. Un pied plat peut être aussi bien utilisé qu'une pointe. Rien n'est en trop, les six o'clock sont mis au placard pour privilégier quelques développés plus justement placés.

L'histoire est plutôt simple. Le comte Albrecht se travestit en paysan pour séduire Giselle dont il est tombé amoureux. Celle-ci tombe à son tour amoureuse et rompt avec son fiancé Hilarion. Elle est sacrée reine des vendanges lors d'une fête paysanne. Des courtisans de la maison d'Albrecht chassent dans le voisinage et se reposent devant la maison de Giselle. Celle-ci rencontre alors la fiancée officielle d'Albrecht sans le savoir, qui lui offre un collier pour son futur mariage. Hilarion réussit à démasquer le comte, Giselle se suicide alors après avoir perdu la raison.

Le premier acte porte en grande partie sur l'intrigue: le drame prime largement sur la danse, et la pantomime encadre ce drame. En étant loin, j'ai eu du mal le premier soir à pleinement me concentrer sur cet acte. Plus proche le samedi, je saisis les nuances du langage chorégraphique, je vois les bras ou le visage s'exprimer. Typiquement, la scène où la mère de Giselle lui explique le danger d'abandonner son fiancé pour un autre homme en lui exposant le mythe des Willis, j'ai été saisi par la force du personnage en la voyant de très près. La lourdeur des costumes et des gestes de la cour d'Albrecht insistent sur la lourdeur de cet acte terrien qui mélange les problématiques sociales: classes supérieures contre paysans, mariage arrangé et amour.

Ainsi la danse du premier acte se comprend d'autant mieux si elle s'inscrit pleinement dans cette pantomime. La scène des vendanges qui sacre Giselle reine des vendanges consacre donc la jeune femme avant sa chute et sa folie. Je remarque que le corps du Royal Ballet n'est pas tout à fait aussi exactement placé que le serait celui de Paris, mais la danse reste dans l'ensemble bien fluide. La petite batterie est malheureusement un peu sacrifiée même chez les demi-solistes. Hilarion en revanche ne danse pas, il symbolise le rustre paysan bien éloigné de la danse, et privilégie donc la dramaturgie et le personnage.

Le deuxième acte ouvre sur Hilarion pleurant sur la tombe de Giselle, enterrée hors d'un cimetière car suicidée. Il prend peur devant l'éveil des Willis, ces vierges mortes avant leur mariage car trahies par leur fiancé. Elle sont menées par Myrtha leur reine qui entrainent les hommes dans une danse infinie jusqu'à ce qu'ils succombent. Hilarion finira par mourir mais l'âme de Giselle sauvera Albrecht du pouvoir des Willis avant de disparaitre.

Le deuxième acte raisonne donc des Ombres de Bayadère qui en semblent tout à fait inspirées, à l'exception près que ces Willis sont méchantes et porteuses de mort, afin de revaloriser encore plus le couple Giselle-Albrecht. La Myrtha du samedi apparait méchante et froide sur scène, avec un visage dur qui laisse transparaitre son histoire passée et la trahison qu'elle a subie. Celle du jeudi paraissait purement agressive et sans merci. Le corps de ballet m'a semblé très en place dans l'ensemble, mené le samedi par deux charmantes acolytes de Myrtha (notamment la latine Beatriz Stix-Brunell et son acolyte plus aristocrate).

Les deux couples que j'ai vu alterner dans les rôles principaux étaient bien différents. Le jour contre la nuit, mais les deux sublimes. Le couple McRae/Lamb est solaire, lumineux, on dirait un vrai couple allemand. De si près, j’ai pu voir chacune de leurs expressions, apprécier la fatigue mortelle de McRae alors que Myrtha le pousse à danser. La reine des Willis semblait ici souffrante plus que méchante. De même pour la souffrance de Sarah Lamb, réellement trahie par Albrecht, qui meurt à quelques mètres de moi. Je me croyais réellement en Allemagne avec eux.

Le couple lunaire Soares/Nuñez donne une toute autre impression, rendant le deuxième acte encore plus passionnant. Vu son physique, Soares ne donne pas un Albrecht tout à fait vraisemblable dans le premier acte, les costumes sont sans doute trop lourd pour être intemporelle et donner leur chance à tous les types de danseurs. Néanmoins il semble donner une nouvelle version du ballet dans le second acte. Nuñez, une superbe ballerine, n’est plus suffisamment jeune pour que l’on croie tout à fait à la jeune fille naïve, mais elle semble guider son Albrecht à travers les Willis. En face, Tierney Heap en Myrtha semble une reine réellement terrifiante.

Tout superflu est éliminé dans cette chorégraphie, la pantomime et la danse se succèdent et se combinent. La virtuosité est éliminée au titre de l’élégance : c’est le style romantique à son apogée.

Giselle[s] au Royal Opera House
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