Metamorphosis: Titian 2012
Après un premier opéra au Royal Opera House, je m’y rends quelques jours plus tard pour découvrir une toute autre institution britannique : le Royal Ballet. Si le Ballet de l’Opéra de Paris en fait rêver plus d’un, pour le parisien que je suis, mon intérêt se porte vers les compagnies russes et anglo-saxonnes majoritairement. Mon premier contact avec la danse britannique était Manon en mai dernier, où j’ai eu l’impression de découvrir totalement un nouveau langage chorégraphique.
Pour ce triple programme, je venais surtout découvrir les danseurs, dont je ne connaissais que les noms où quelques rares images vidéos. Un coup de bol, étant donné que le nombre de Principals (équivalent local d’étoiles) était particulièrement important dans la distribution. Ce programme a été conçu spécialement de toute pièce pour les adieux de la directrice artistique de la danse, Monica Mason, après une dizaine d’années de bons et loyaux services. Des témoignages que j’ai pu avoir, tout le monde lui semblait très attaché. Les artistes ont d’ailleurs été nombreux à se mobiliser. Chaque pièce est réalisée par deux ou trois chorégraphes, un compositeur a créé la partition et un plasticien s’est occupé des décors.
Pourquoi un tel titre ? La réponse se trouve un peu plus loin que Covent Garden. La National Gallery tient une exposition qui porte sur l’analyse de trois tableaux de Titien dont deux sur l’histoire de Diane et Actéon. Une salle nous place d’ailleurs dans la position d’Actéon puisqu’une femme se baigne nue dans une boîte fermée où seuls deux petits trous pour les yeux nous permettent de l’observer. Le reste des salles portent sur la recherche chorégraphique et la production des décors et costumes. Les pièces vont donc porter sur la mythe de la déesse espionnée par un chasseur qui, comme punition, sera transformé en cerf et dévoré par ses propres chiens.
Machina : Chorégraphes : Kim Brandstrup, Wayne McGregor ; Musique : Nico Muhly ; Décors : Conrad Shawcross ; Leanne Benjamin, Tamara Rojo, Carlos Acosta, Edward Watson.
Une première pièce dont l’élément central et éponyme est donc une gigantesque machine qui représente la déesse offusquée. Elle me semble être sortie du grappin de Toy Story. La musique n’a rien d’exceptionnel mais ne bloque rien et laisse entendre le bruit de la machine en mouvement. Seule la dernière pièce se veut narrative, ici donc, place à la danse.
J’y retrouve les éléments que j’avais pu voir chez McGregor la saison dernière à Paris, une danse décidément contemporaine mais franchement pas transcendante. Un bon moment néanmoins, où je suis impressionné par les solistes. Les hommes sont massifs pour incarner l’idée de la meute ou du cerf, les femmes frêles comme des nymphes. Des gestes parfois animaux, de beaux portés, Tamara Rojo brille, ainsi qu’Acosta. Ils semblent très naturels et à la fois complètement maîtres de leurs techniques.
Ce qui est très frustrant est qu’il n’y a pas de mise en scène, des costumes et des décors minimalistes (McGregor en puissance), où est le parallèle avec les tableaux si riche du maître vénitien ?
Je comprends par la suite l’intitulé exact du programme. Ce n’est pas une rétrospective sur Titien, mais une actualisation de son thème en 2012, ce que je comprends beaucoup mieux avec la seconde pièce.
Trespass : Chorégraphes ; Alastair Marriott, Christopher Wheeldon ; Musique : Mark-Anthony Turnage ; Décors : Mark Wallinger ; Beatrix Stix-Brunell, Melissa Hamilton, Sarah Lamb, Nehemiah Kish, Steven McRae.
J’ai adoré cette pièce. Une musique claire, plus mélodique que pour Machina, qui a des accents de forêt et de chasse. L’ambiance de la scénographie repose sur l’idée de la lune, dont Diane est aussi la divinité. Le décor est donc d’argent, de noir et de blanc, un énorme miroir en arc repose sur la moitié de la scène. La lumière rappelle à nouveau cette atmosphère lunaire. Les costumes des femmes sont ornés de mosaïque portant le croissant.
La danse m’a rappelé Balanchine, toute en pointe pour les femmes notamment. Le corps de ballet semble très investi, peut-être plus que pour Machina, tous les éventuels dérèglements paraissent naturels et préparés. Le premier pas de deux met tout de suite dans l’ambiance. Il est très réussi, la femme semble complètement manipulée et portée dans tous les sens par son partenaire. Deux couples (McRae/Lamb, Stix-Brunell/Kish) et une soliste pour ce morceau, tous m’ont complètement emballé, dont les longues jambes de Melissa Hamilton et Steven McRae avec ses très belles lignes et sauts.
Les couples se font et se défont, sur un fond très rythmé, rappelant parfois Robbins. Aucun problème de narration, je saisis ici tout de suite l’idée de la chasse, puis de la découverte, lorsque le miroir devient soudainement transparent, et de la punition. Le plus brillant est d’avoir dédoublé les rôles, personne n’est au dessus des autres, tout le monde est au top. J’espère revoir cette pièce très rapidement !
Diana and Actaeon : Chorégraphes : Liam Scarlett, Will Tuckett, Jonathan Watkins ; Musique : Jonathan Dove ; Décors : Chris Ofili ; Marianela Nunez, Federico Bonelli
Autant vous dire que je n’ai pas du tout compris cette dernière pièce. Pour les (non) amateurs, j’ai eu l’impression de revoir quelque chose comme Psyché de Ratmansky. Ce qui me frappe dans un ballet est avant tout les couleurs et l’image reçue. Ici donc, des décors et des costumes horribles, des couleurs affreuses. Deux chanteurs (invisibles d’ailleurs) m’assomment la tête avec leur latin et grec qui ne sont vraiment pas mélodieux.
Trois corps de ballet. Les nymphes me font penser à celle de la Source, un joli groupe aux costumes plus légers qui évoluent joliment en groupe. Les chiens de la meute rappellent les animaux dans la comédie musicale du Roi Lion pour un effet très déplaisant qui fait rire le public. Les chasseurs donnent sans doute le meilleur du ballet, un corps d’hommes, ca claque.
La volonté narrative de ce ballet rend des moments très ennuyeux. J’ai pu profiter pleinement de Nunez, à la hauteur de sa réputation. Un vrai joli pied, une très belle technique et une dose de malice.
Au moment des saluts, Monica Mason se fait trainer sur scène et saute partout tant elle est heureuse de cette première. Il ne lui reste plus que quelques jours avant de fermer la porte du Royal Ballet. Elle dont les murs du Royal Opera House sont ornés de photos a dansé avec Noureev et a dédié plus de cinquante années de sa vie à la compagnie. Pour les parisiens, il ne nous reste plus qu’à attendre ce que les adieux de Brigitte Lefèvre nous réserveront.
(Photos du Royal Opera House)