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La Loge d'Aymeric

Le Dialogue des Carmélites

14 Décembre 2013, 12:11pm

Publié par La loge d'Aymeric

Théâtre des Champs-Elysées

10 décembre 2013

Direction musicale : Jérémie Rhorer ; Mise en scène : Olivier Py ; Mère Marie : Sophie Koch ; Blanche : Patricia Petibon ; Madame Lidoine : Véronique Gens ; Sœur Constance : Anne-Catherine Gillet ; Madame de Croissy : Rosalind Plowright ; Le Chevalier de la Force : Topi Lehtipuu ; Le Marquis de la Force : Philippe Rouillon.

 

 

Ce Dialogue des Carmélites a réussi quelque chose que je n'avais pas vue depuis longtemps: émouvoir jusqu'aux larmes, réunissant les meilleures voix françaises du moment.

 

J'y ai retrouvé ce que j'avais pu voir ailleurs chez Poulenc, la Voix Humaine notamment, vue ici et , sur le désespoir d'une femme seule accrochée à son téléphone. Vu la force de ce monologue, je me suis dit qu'étendue à un opéra complet avec cinq solistes femmes, ce devait être superbe. Pari gagné, tout a permis de passer une très belle soirée, atteignant le sublime.

 

Patricia Petibon joue aussi bien qu'elle chante le rôle de Blanche, femme qui n'est pas complètement folle mais qui ne semble pas savoir comment vivre face à tous ces personnages qui la rattachent à différents aspects de la vie terrestre et céleste. Une musicalité et une diction qui rendent son personnage si proche de nous que j'ai parfois l'impression de voir du théâtre mis en musique. Elle est tremblante pendant toute l'œuvre et elle s'affirme quelque fois dans des instants de grâce aussi pur que son nom. Je suis avec évidence son cheminement spirituelle et sociale.

 

Sa mère spirituelle, Mary Plowright, semble une voix d'outre-tombe, revenue de la mort pour tourner Blanche vers le martyre. Sa mort reste un des plus beaux moments du spectacle, j'en sors tout retourné. Py choisit d'installer sa chambre à la perpendiculaire de la scène, le public est donc au dessus du lit de la mourante qui se tord de douleur et ne comprend pas que son corps physique ne suive pas l'état de son esprit. Un reflet parfait de ce que comprendra Sœur Constance, elle se sentait dans la mort comme dans un vêtement trop petit. Seul problème : c’est la seule chanteuse non francophone, et son accent heurte un peu en comparaison avec le reste de la distribution.

 

Sandrine Piau, qui avait apparemment fait de la quasi figuration lors de la générale a été remplacée en dernière minute par la sympathique Anne-Catherine Gillet, que j'avais pu entendre en Aricie à Garnier. Elle est brillante, pétillante, innocente et sincère. Ses premiers instants sur le mariage de son frère et ses contredanses apportent une joie étonnante que l'on ne retrouve à aucun autre moment de l'œuvre. Pendant toute l'œuvre, elle reste pétillante, jusqu'aux derniers instants elle reste fidèle à sa foi, se reprenant à l'instant où elle refuse de voter le martyre, un pêché humain racheté par la foi.

 

Cet ensemble de femmes se clôt avec une Sophie Koch et une Véronique Gens en pleine forme, plus ténébreuses que les deux novices. Les hommes, mis ici au second rang, ne font pas pâle figure. Le père représente à lui seul tout l'ancien régime, le prêtre une tentative ultime de protection patriarcale. Le frère enfin, athlète de 2m de haut, est aussi charmant que sa sœur. Le parloir est superbe, tous les tourments des personnages s’expriment violemment. Ils représentent tous des exemples que Blanche cherche à éviter ou à combiner.

 

Rhorer fait de nouveau des merveilles à la direction, je retrouve cette charmante musique de Poulenc, si forte et si naturelle, qui se clôt par ce magnifique Salvae Regina qui m'a donné des frissons dans le dos (aidé certes par le bruit de la guillotine juste derrière moi). Les leitmotive sont moins évidents que chez Wagner, plus subtils, avec certaines sonorités qui paraissent nouvelles dans un orchestre d'opéra, notamment les vents. Le langage de Poulenc, si naturelle et si humain, colle si bien à son accompagnement musicale.

 

Py enfin signe une des meilleures productions que j'ai pu voir de lui. Des opéras qu'il a choisi de mettre en scène dernièrement, c'est sans doute celui qui le touche le plus, en tant que grand croyant. Tout y est sobre mais pas épuré, classique sans être rasoir, innovant mais pas contre ton. Les costumes restent étonnamment sobres mais raisonnent de modernité, les décors désarticulés enferment et libèrent Blanche selon son état psychologique, limitant à l'avant scène les instants avec sa famille, ouvrant vers le fond en prison et encore plus avec la mise à mort. Les parois se font et se défont formant un court instant une croix dans l'air. Même ces scénettes de carton pâte où les religieuses représentent des étapes de la Bible (Annonciation, Présentation) semblent tout à fait logiques lors des interludes musicaux.

 

Je regrette uniquement son utilisation, de nouveau, de la craie pour écrire Égalité et Liberté, qui n'apporte rien de très clair dans le jeu global. Enfin, son utilisation de la lumière et des parois pour la fendre rendent des tableaux d'une grande beauté, avant qu'ils s'effondrent tous pour laisser place aux étoiles du ciel lors des décapitations. Constance voit de loin Blanche s'approcher, elle lui sourit d'un sourire franc et heureux avant de mourir. La perspective est enfin ouverte vers l’apothéose.

 

Après trois opéras de Py mis en scène à Paris cette saison, cap sur Bruxelles dans une semaine pour aller voir son Hamlet avec Stéphane Degout !

 

Le Dialogue des Carmélites
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