Bastille haut en couleurs avec L'Amour des Trois Oranges
Prokofiev, le 3 Juillet 2012. Mise en scène : Gilbert Deflo ; Direction musicale : Alain Altinoglu ; Le Roi de Trèfle : Alain Vernhes ; Le Prince : Charles Workman ; La Princesse Clarice : Patricia Fernandez ; Léandre : Nicolas Cavallier ; Trouffaldino : Eric Huchet ; Pantalon : Igor Gnidi ; Tchélio : Vincent le Texier ; Fata Morgana : Marie-Ange Todorovitch ; Linette : Alix Le Saux ; Nicolette : Alisa Kolosova ; Ninette : Amel Brahim-Djelloul ; La Cuisinière : Hans-Peter Scheidegger ; Farfarello : Antoine Garcin ; Sméraldine : Lucia Cirillo
Cette soirée était comme une découverte d'un des dessins animés Walt Disney de mon enfance. De la magie, de l'absurde, de la musique.
Autant commencer par l'histoire. Aie, déjà là je suis largué. Un chœur habillé en clown demande que l'on chante des tragédies, des drames remplis d'un amour noble. D'autres arrivent leur demandant gentiment de dégager le plancher. Tel un spectacle de cirque, ou, pour les amateurs, tels les chasseurs devant les théâtres du Boulevard du Crime dans les Enfants du Paradis, deux personnages, haut de forme à l'appui, nous invitent à entrer derrière la toile qui représente Bastille. Les chœurs s'assoient alors sur les allées qui relient la scène à la salle. Représentants du public, ils applaudissent, font des commentaires pendant tout le spectacle.
Les chanteurs sont gentils et nous expliquent la situation initiale. Le roi de trèfle est malheureux: son héritier de fils souffre d'une terrible maladie hypocondriaque. Les médecins, amis de J-B Poquelin, listent les maux (le poumon, le poumon vous dis-je) mais ne sauvent rien du tout. Solution miracle, il faut le faire rire. Le bouffon local, Trouffaldino, va donc organiser des festivités. Seulement la méchante (et ridicule, cf livret) nièce royale, robe, gants et cheveux vert assortis, s'est alliée avec le méchant premier ministre pour tuer le prince.
Duel entre le gentil magicien et la méchante sorcière, Fata Morgana, pour décider qui gagnera. Manque de bol, la méchante et ses furies l'emportent.
Le prince-Pierrot (qui me rappelle Baptiste dans Les Enfants du Paradis) refuse d'aller assister aux réjouissances, il souffre terriblement partout le pauvre. Hop, hop, enroulé dans un tapis, il est emporté pour aller rire. Les numéros se succèdent, combat de géants, fontaine de beurre et d'alcool, rien n'y fait. Surgit alors Morgana pour effrayer tout le monde, mais sa figure de vieille femme fait rire le prince. Un doux et discret Ah Ah se transforme en quasi fou rire. Un peu énervée, la sorcière le condamne à trouver les trois oranges.
Le Prince sait (évidemment) où elles sont, c'est à dire chez Créonte, une autre sorcière. Il s'envole (vraiment) avec Trouffaldino, refusant d'écouter son père.
Vous pensez déjà que cette histoire est étrange? Attendez la suite.
Le magicien les trouve, leur dit de faire attention à la cuisinière de Créonte, et surtout à sa terrible louche. Pendant que le prince, un peu allumé, crie "J'adore, j'adore les trois oranges", le magicien donne à Trouffaldino un ruban rouge et magique pour s'en sortir.
Arrivés chez Créonte, la cuisinière surgit alors, bijou de la mise en scène. Deux personnes au moins s'occupent de bouger cette énorme pièce montée, et, en haut, est perché le chanteur. Elle veut mettre les intrus au fourneau. Le prince, vaillant, s'est caché. Trouffaldino offre alors le ruban, la cuisinière en tombe amoureuse et ne voit pas qu'on lui vole ses oranges et que les deux compères s'enfuient.
Fatigué, le prince s'endort, alors que Trouffaldino meurt de soif. Il décide alors d'ouvrir une puis deux oranges. Au lieu du jus tant espéré, deux princesses sortent des fruits, qui réclament à boire. En plein désert, Trouffaldino ne peut rien faire. Les deux princesses s'éteignent, le bouffon s'enfuie. Le prince se réveille, se rend compte du massacre, fait enterrer les corps et ouvre la dernière orange. En sort Ninette. Après un instant de grande déclaration d'amour où le prince s'approprie les exploits des autres, elle demande aussi à boire. Subitement surgit du fond de la scène une toile bleue portée par quatre figurants, qui s'installe derrière le couple, assis sur le devant de la scène. Phrase la plus drôle de l'œuvre: "Tiens, de l'eau."
Le prince part alors prévenir le roi qu'il va se marier et va chercher une robe pour la coquette et capricieuse Princesse Orange. La méchante Morgana arrive avec son esclave et pique la princesse de deux épingles, la transformant en...... rat acrobatique! L'esclave black prend alors sa place, le prince revient et refuse de l'épouser (moment raciste de l'œuvre, il refuse surtout d'épouser une négresse). Promesse royal, il doit le faire.
A nouveau les magiciens se battent. Enfin ils commencent par s'insulter. "Ah ah tu te bats avec des rubans" "et toi avec des épingles!" Les clowns-chœurs aident le gentil magicien à s'en sortir. Juste avant le mariage, il retransforme alors le Rat en Princesse. Merveilleux. Jusqu'au moment où le roi demande à ce que l'on pende sa nièce, son ministre et l'esclave. Un peu sanglant non? Une folle course poursuite plus tard, ils sont sauvés par Batman-Morgana. Le prince et la princesse se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.
Désolé, l'histoire est un peu longue, mais elle est si absurde qu'il ne faut rien en louper.
Le tout se passe au sein d'un chapiteau, avec des chaises disposées tout autour pour l'audience. Les costumes sont aussi absurdes que le livret. La nièce est la séduisante méchante; toute en verte fluo, elle nous dévoile ses longues jambes à travers sa robe fendue. Le grand méchant ministre en jaune flash, la grande méchante en noir et rouge sang, les clowns pour le chœur. Le metteur en scène ne nous cache rien. Le morceau de carton noir qui cache le rat en lequel la princesse se transforme n'est pas bien discret, mais tant pis.
Le prince est un Pierrot bien malheureux. Comme tous les Pierrots, il finit heureux avec toute sa famille de Pierrots. C'est sans doute mon personnage préféré, il chante bien et, ô bonheur, il joue bien, marche avec des grands pas et des gestes très marqués de mime. L'histoire tourne autour de lui, il est le seul à évoluer. Sorti de son enfance couvé (et sa maladie), il s'oppose à son père et part dans un voyage quasi-initiatique d'où il reviendra homme et marié après avoir libéré sa princesse (non pas d'un dragon certes, mais d'une cuisinière).
Décidément, j'aime Prokofiev. La musique de Roméo et Juliette m'avait déjà plu l'année dernière, un morceau des Fiançailles au Couvent entendu lors de la réouverture du Bolchoï m’avait également marqué. Son Cendrillon avait été une simple consolation pour un ballet décidément bien décevant en décembre dernier. Sa musique n'a pas à proprement parler de temps fort, tout s'écoule. Cela reste très dense et pourrait donner une impression d'enfermement qui n'est pas tout à fait désagréable. La musique respire la modernité et approche presque le naturel.
Un casting de chanteurs qui m'a paru dans l'ensemble très correct. A part les grands rôles, rien de très difficile à chanter, surtout que l'œuvre est courte. Fata Morgana se fait pas mal remarquer, crie, mais d'un joli cri. La princesse est bien aussi, mais elle chante trop peu.
La salle est loin d'être remplie, les dernières minutes fonctionnent très bien, même pour les non-Pass. Un opéra d'une légèreté, d'une naïveté et d'une fraicheur qu'il est très doux d'avoir à l'approche des vacances. Comme pour la Fille Mal Gardée, les sourires sont nombreux, voire unanimes, à la sortie. L'opéra, c'est fun.
(Photos de l'Opéra National de Paris)