Sous Apparence/Un Jour ou Deux, création et retour d'une pièce
Sous Apparence, création de Marie-Agnès Gillot. Solistes: Laëtitia Pujol, Alice Renavand, Vincent Chaillet.
Un Jour ou Deux, Merce Cunningham. Solistes: Emilie Cozette, Hervé Moreau, Fabien Révillion.
L’Opéra a déjà répondu à cette question : oui, il est possible pour un danseur de dépasser son statut de médium et de passer au stade de la chorégraphie. Après le brillant (Swarovski aidant) succès de la Source l’année dernière, nouvelle tentative cette saison avec Marie-Agnès Gillot, personnage et danseuse atypique dans le Ballet parisien.
C’est clair, elle s’est éclatée sur cette pièce, elle y a mis ce qui lui faisait plaisir. Ce ballet va-t-il bien vieillir ? Who cares ! Elle a fait ce ballet pour elle, ses amis et le public de 2012.
Le titre m’avait un peu laissé perplexe, « Sous Apparence », qui respirait une trop grande (et fausse ?) intellectualisation. Heureusement rien de tout cela ici, mais une présence de références à des apparences (joli triptyque je trouve) qui va de pair avec une variété d’émotions et sentiments : humour, amour, peur, la vie en communauté.
Apparence sur l’espace restreint des cloisons mouvantes d’où sortent tous les danseurs. Apparence des sentiments : un mouvement de jambe d’une danseuse suffit pour attirer un homme. Apparence d’une bonne santé, qui révèle en réalité de graves troubles de santé, comme la double scoliose de MAG, qui sert ici de décors. Apparence d’épure pour laisser place à des costumes en réalité drôlement kitsch. Je me crois ainsi un instant dans la pub Oasis avec une grosse myrtille, deux sapins en conflit et des boules de poils hyperactives. Puis le solo de Chaillet, pas épuré pour un sou vu le fluo qui l’habille, mais si épuré pour la danse.
Car c’est le moment fort de cette pièce sans aucun doute. Rien de totalement révolutionnaire, on a déjà vu des hommes sur pointes. Mais chez les Ballets Trockadéro ou alors dans les rôles travestis, comme la marâtre de Cendrillon. Ici toutefois, rien de féminin. Chaillet est gracieux, droit, élancé, aérien. Finalement c’est un ballerin. Et ainsi tous les danseurs, hommes et femmes, se mettent soudainement sur pointes.
Enfin, un moment fort, les glissades et les traversées de scène sur le lino. Tout comme le corps de femmes conduit par la fière Renavand n’est pas réglé au millimètre près, ici différentes approches face aux glissades, pour montrer la diversité de la compagnie. Certains se jettent sans problème dans l’inconnu et font totalement confiance aux autres, d’autres plus hésitants, comme Pujol, apparaissent bien plus pudiques.
Pour ce qui est du reste, les décors rappellent des façades d’immeubles d’Hopper et permettent de relier certaines scènes à la vie courante. Influence de Mats Ek sans aucun doute, Mme Gillot en a subi toute l’influence dans le passé. La musique enfin est aussi variée que les parties : une idée d’un peu de tout. Que peut-il y avoir su l’ipod de Marie-Agnès ? Et bien il y a du Bruckner, du Ligeti, du Feldman. C’est beau, c’est varié, surtout dirigé par Laurence Equilbey.
Une grande variété, une confession presque d’une danseuse passée chorégraphe.
Le ballet est couplé avec une pièce de Cunningham créée pour le Ballet il y a 39 ans. Un grand nom de la danse que je ne connaissais pas du tout. La foule de balletomanes présente pour ce soir de première m’a mis en garde sur le travail de ce chorégraphe, je rentre donc assez perplexe dans la salle après l’entracte.
L’ambiance de la pièce est assez suffocante, très terne, très brumeuse. Il faut rester concentré, plus de fluo comme dans la pièce précédente pour attirer l’œil. Et la concentration finit en réalité par se dissiper.
J’ai pu apprécier une technique formidable, comme régulièrement pour l’Opéra. Les pirouettes de Moreau ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres de ses énormes capacités. Celui qui m’a le plus marqué ce soir-là était Révillion, je n’ai eu l’impression de ne voir que lui.
Néanmoins je finis par me poser une question face à ce spectacle : suffit-il de placer des danseurs effectuant des pas pour créer une pièce chorégraphique ? Le fait que les pas soient agencés grâce à un lancer de dé me laisse un peu perplexe. Par pair ou en solo, les danseurs sont tous très bons, c’est évident. Mais je ne comprends pas l’ensemble. J’ai l’impression d’un work in progress, mais est-ce vraiment le but ? Le spectateur devient alors observateur, et c’est dommage.
Surtout que cela n’est pas aidé par la « musique » de John Cage et ses bruitages d’avions et d’oiseaux. Je reste très primaire sur ce point, je veux de la danse sur de la musique, pas sur des bruitages ou des bruits de cartons. Cette pièce finit donc par me rappeler Empty Moves II de Preljocaj, une chorégraphie très travaillée certes, mais l’absence de musique m’avait rendu la pièce insupportable.
Mon enseignement de la danse continue petit à petit. Il va donc falloir que je retente ce Cunningham, je n’ai pu comprendre ni l’œuvre ni les bravos qui l’ont suivis. A une prochaine fois !