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La Loge d'Aymeric

Les jeunes hommes et la mort

26 Février 2013, 16:00pm

Publié par La loge d'Aymeric

Ce que j'appelle oubli, Angelin Preljocaj
23 février 2013
Théâtre de la Ville
Laurent Cazanave; Aurélien Charrier; Fabrizio Clemente; Baptiste Coissieu; Carlos Ferreira Da Silva; Liam Warren; Nicolas Zemmour 

 

Une création de Preljocaj c’est le genre d’événement où il faut aller. Alors on peut choisir de quitter la salle, de huer, de pleurer, d’ovationner, de rester complètement indifférent. Un des grands noms de la danse française, qui la porte et l’apporte à l’étranger, son nom a un moment circulé pour la direction de la danse à l’Opéra. Comme je l’expliquais lors du diptyque que sa compagnie a présenté à Garnier en janvier, j’ai eu à peu près toutes les possibilités d’émotions face à ces spectacles.

 

Ce que j’appelle oubli a été créé pour la biennale de Lyon en septembre dernier, et c’était ce soir-là la première parisienne au Théâtre de la Ville. Les places se sont un peu arrachées par abonnement, j’ai néanmoins pu récupérer les deux dernières places de cette soirée, au tout premier rang, à l’avant scène. Cette sensation d’être assis à moins d’un mètre de la scène, de voir les gouttes perler sur le front des danseurs, sentir leur respiration, j’ai eu l’impression qu’ils ne dansaient que pour moi. Et c’est ce qui a du participer à ce sentiment d’être complètement saisi par cette œuvre.

 http://diffusionph.cccommunication.biz/jpgok/redim_recadre_photo.php?path_Photo=p129094_5&size=HR&width=365&height=330

J’étais allé voir Ciboulette la veille, hommage joyeux et frais au XIXème siècle, dont j’étais sorti ravi, avec les chansons qui trottaient dans ma tête. Devant Ce que j’appelle oubli, j’ai l’impression de voir un bilan de notre époque actuelle, et j’en suis ressorti tout déprimé avec des images fortes ancrées dans ma tête.

 

Fait divers à Lyon : un jeune homme se fait tabasser à mort par quatre vigiles car il a volé une bière. La phrase choc du procureur : on ne devrait pas mourir pour si peu. Donc cela ne vaut pas une bière, mais plutôt une caisse de six ? De vingt quatre ? C’est à ce type de réflexion que s’est mené Laurent Mauvignier. Preljocaj a choisi de conserver une personne sur scène qui récite le texte, interagissant avec les danseurs. Si le texte en lui-même ne me parait pas particulièrement saisissant, c’est surtout la manière de Cazanave de le réciter, et son implication dans l’ensemble de l’œuvre.

 

A l’inverse de son spectacle solo Le Funambule (qui m’avait vraiment bien ennuyé), ici en plus du texte, des danseurs accompagnent. Et c’est d’une violence rare. Au début, alors que le texte commence à peine, dans la pénombre on aperçoit un homme qui drague une femme, puis ils commencent des relations sexuelles mais elle semble ne plus vouloir. Apparaissent alors quatre hommes qui les observent et les entourent, de façon très froide. Nous retrouvons déjà les antagonistes de la suite du spectacle : celui qui se fait frapper et les quatre vigiles. Avec cette sorte d’introduction, nous avons déjà les principaux thèmes : l’oppression à la Big Brother, le manque de lien véritables (il aurait bien aimé que ce soit plus qu’un sexe dans le noir) et le manque d’individualité.

 

Alors que le jeune homme effrayé part en courant, les quatre vigiles s’habillent tous ensemble, pantalon, veste, cravate. Formatage ? En tout cas perte de leur identité en tant qu’homme, ils ne deviennent plus qu’instruments de la violence, de la société. Lorsqu’ils frappent par la suite le jeune homme, ils ne le regardent même pas, c’est un geste automatique. Ils le font voler, lui arrachent ses habits, dans la plus profonde indifférence.

 http://www.biennaledeladanse.com/data/classes/spectacle/spec_14_visuel.jpg

Puis une fois le jeune homme mort, mort accompagnée par l’incompréhension exprimée par Cazanave, la réflexion porte sur l’anonymat de la mort en général : les corps nus et morts fouillés avant d’être placés dans des grands sacs de morgue. Enfin, le passage le plus horrible est lorsque nous apprenons que le père du jeune homme était boucher. Surgissent alors les images du boucher qui détruit les corps, comme saisi d’une envie sadique.

 

Succession d’images très fortes donc, peinture sociale des banlieues défavorisées. Une danse qui va de pair, entre acrobaties et violence. Preljocaj a relié la danse à l’actualité et l’expose au public so parisian de la Ville. Les applaudissements viennent peut être trop tôt, il faudrait laisser quelques instants de repos pour se reprendre.

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P
J'aime beaucoup ton texte, la description est très juste. Je crois que si le ton du narrateur et le lieu ne m'avaient pas tant gênée, j'aurais pu rentrer complètement dedans. La pièce était bien<br /> structurée même si les passages chorégraphiques m'ont semblé trop courts, le sujet très fort intelligemment mis en scène.
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