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La Loge d'Aymeric

Adieux de Nicolas Le Riche

9 Juillet 2014, 21:57pm

Publié par La loge d'Aymeric

Adieux après adieux, Nicolas Le Riche s'était préparé à cette soirée que la planète danse attendait avec impatience depuis plus d’un an. Le monde des balletomanes a d’ailleurs pu suivre la soirée en live sur Arte. Cette soirée était très bien agencée, presque trop et il manquait un aspect improvisation d'adieux, comme pour Letestu ou Ciaravola cette année qui dansaient par ailleurs sur des ballets tragiques. Mais à l'inverse de ces deux dernières, Nicolas a réellement eu droit à un programme sur mesure, une carte blanche, lui permettant de faire le bilan qu'il voulait de ses années à l'Opéra.

Nicolas a souhaité inviter le plus de monde sur scène: quelques élèves de l'École de danse, ses amis extérieurs (Sylvie Guillem, M et Guillaume Galienne). Si l'intention d'inviter tous les danseurs étoiles hommes sur scène était louable, elle a été en pratique irréalisable. Ainsi Bullion et Ganio n'ont servi que de figurants, respectivement dans Raymonda et Caligula, alors qu'ils représentent à tous deux de grandes qualités de danse de Le Riche.

La première partie a malheureusement été expédiée très rapidement, comme pour décrire en un clin d'œil le parcours de Nicolas. L'école de danse tout d'abord, avec l'entrée des Forains et ses petits pas académiques, puis son premier solo, la variation du tambour du Bal des cadets. Les entrées dans le classique ensuite, avec un pas de six de Raymonda trituré. Pas de variation ou d'adage, quelques mouvements de corps de ballets, de vagues entrées et sorties. J'étais content de voir rapidement Dorothée Gilbert de retour sur scène dans une vague diagonale, un petit rappel de ses grands rôles classiques à elle, une allusion aux différentes ballerines qui ont pu accompagner Nicolas. Beaucoup de danseurs sur scènepour pas grand chose finalement.

Pour clore la partie biographie du danseur un peu plus tard dans la soirée, Le Riche chorégraphe, avec un extrait de son Caligula, évidemment le manège du cheval. Quoiqu'empereur romain, Mathieu Ganio se retrouve à tenir la bride d'Audric Bézard, sans jamais réellement danser. Le danseur le plus noble de la troupe, désormais doyen des hommes, aurait pu briller dans un extrait plus avantageux. Bézard fait profiter de sa carrure pour faire un Incitatus convaincant cependant.

Après ces quelques réserves, les quatre autres œuvres ont illuminé Garnier, quatre œuvres qui sont principalement tournées autour de l'homme, du danseur.

Bélingard, étonnamment de retour sur scène, nous a offert un Faune comme il sait bien le faire: viril, pervers et expressif. En face, Eve Grinsztajn est superbe en grande Nymphe. C'est le genre de rôle mythologique qui lui va si bien. Elle y apporte son charisme et une présence qui lui est si propre. Tant d’images dans ce ballet si raffiné et encore moderne, plus d’un siècle plus tard.

Le Jeune Homme et la Mort, que j'avais pu voir avec Le Riche à Amiens, est de retour à Garnier et a déclenché une véritable ovation (six levers de rideau). Abbagnato y est comme toujours fatale, mais pour l'avoir déjà vue dans le rôle, elle semblait un peu moins investie, comme pour laisser entièrement la place à Nicolas. C'est dans cette pièce que je l'ai trouvé le plus bluffant. Je comprends d'autant mieux l'idée de jeune homme et de l'absurdité de cette retraite forcée de l'Opéra. Il ne se pose pas de question et se lance dans ce rôle qu'il connait par cœur. Les sauts d'un jeune homme, le regard et la peur d'un homme plus mature. Ses mouvements de pieds sur la table sont assez pour comprendre le danseur qu'est Nicolas: infatigable, aventurier et génial.

Petite dose de douceur et de poésie avec le pas de la porte d'Appartement avec Sylvie Guillem. L'enfant prodigue est de nouveau à Garnier et le public lui réserve une ovation. J'avais déjà pu les voir dans ce même pas depuis les hauteurs du Théâtre des Champs, mais là l'émotion est différente. Deux des plus grands danseurs à avoir foulé ce plateau de nouveau réunis de nouveau, avec beaucoup de tendresse.

Une femme moderne, gênée dans sa peau, qui imagine tout ce qu'il pourrait se passer si elle passe le pas de la porte. Féminité, sexualité, virilité, chez Ek les forces naturelles ressortent. Seule ombre au tableau, Guillem aurait refusé que ce pas soit retransmis en direct sur Arte, comme devait l’être toute la soirée.

Et enfin, la soirée s'achève avec le must: le Boléro, mené par Le Riche joyeux, entrainant les hommes de la compagnie dans une sorte de bacchanale réjouissante, avec entre autres Josua Hoffalt et Karl Paquette comme premiers appelés vers la musique. La partition du Boléro est tristement attaquée par une clarinette ou un basson qui déclenche dans les loges de forts mécontentements. Mais enfin, rien ne réussit à gâcher ce moment inoubliable, cette énergie incessante qui s'élève depuis la scène. Les danseurs présents sur scène sont comme appelés par leur aîné à entrer dans la danse. Troisième Boléro que je vois, troisième interprétation bien différente.

Le discours qu'a prononcé Guillaume Gallienne sur scène avant Caligula (dont il avait écrit la dramaturgie) n'avait pas été lu à la générale et était donc inconnu de tous ou presque. S'il commence ses alexandrins comme un enfant ravi de déclamer un poème à son père, le ton commence tout d'un coup à devenir plus piquant :

« Et si cet endroit te déclare trop vieux, pour continuer ici tes grands sauts périlleux
Et bien tu les feras ailleurs, sur d’autres scènes,
Tu auras pour créer le soutien des mécènes
Ou celui de l’Etat ! Ce serait pas trop mal ça !
Que tu puisses transmettre ! »

J'ai trouvé que cette soirée avait quelque chose d’amer. Les vingt minutes d'ovation ne m'ont pas apporté autant d'émotions que lors d'autres adieux. Nicolas n'a pas convié sur scène tous ses amis étoiles, ses mentors, qui étaient pourtant présents dans la salle ou les coulisses. Une apparition de Clairemarie Osta et leurs filles, puis Claude Bessy très émue. Mais pas d’Aurélie Dupont, d’Isabelle Ciaravola, de Marie-Agnès Gillot. Pas même de Legris ou Romoli. Personne de l’administration de la danse. Dans le grand foyer, le discours de Nicolas résonne de mélancolie, de longues descriptions sur ses premiers pas à Garnier, son premier spectacle. A nouveau, comme un rappel que ses trente quatre ans de Grande Boutique s’interrompent trop brusquement, sans avenir assuré à la tête d’une institution de renom. Alors que je demande au danseur si nous le reverrons à Garnier, il sourit avec mélancolie (et fatigue).

Un programme parfait sur le papier, comme cela devait être nécessairement le cas pour la plus grande star du Ballet. La chanson d'ouverture de Matthieu Chedid résonnait de cette nostalgie, et dès l'ouverture, le public voit Nicolas partir au loin, esquissant ses pas de danse, tantôt homme en brun de Robbins, tantôt Basilio de Noureev, tantôt Quasimodo de Petit. Le Prince s'en va!

Adieux de Nicolas Le Riche
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L
Très joli article, le plus touchant que j'aie lu sur ces adieux...
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