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La Loge d'Aymeric

Naomi Wallace entre à la Comédie Française

1 Juin 2012, 14:01pm

Publié par La loge d'Aymeric

Une puce, épargnez-la, Naomi Wallace. 31 mai 2012. Darcy : Catherine Sauval ; Snelgrave : Guillaume Galienne ; Kabe : Christian Gonon ; Morse : Julie Sicard ;Bunce :  Félicien Juttner

                http://blog.lefigaro.fr/theatre/Theatre%20Ephem%C3%A8re%20de%20la%20Com%C3%A9die%20Fran%C3%A7aise%20Christophe%20Raynaud%20de%20Lage.jpgPourquoi aller à la Comédie Française ? Pour une partie de l’audience, groupes scolaires inclus, c’est aller voir de bons gros classiques, L’Avare, Le Malade imaginaire, L’Illusion comique. Cela fait toujours bien d’aller voir un bon petit Molière, qui peut ainsi agrémenter l’étude du texte en classe. N’oublions pas que le théâtre a peu de sens (voir aucun) uniquement comme texte écrit. Pour une autre partie, c’est l’assurance de voir une troupe qui a une tradition multiséculaire d’excellence. La plus vieille troupe de théâtre du monde ne vieillit pas et se renouvelle continuellement. Les comédiens du Français jouent toutes les pièces classiques à merveille, ce qui est une assurance considérable si la mise en scène ne suit pas !

                Et pourtant, la troupe souffre de son image de ‘Maison de Molière.’ Dès que l’œuvre présentée s’écarte trop du répertoire classique, la salle ne se remplit pas. Les groupes scolaires et les personnes âgées prennent peur, les critiques en parlent à peine. On trouve quelques informations dans la presse sur le fait qu’une dramaturge américaine est entrée au répertoire du Français.

                Hier soir pour Une Puce, la salle était donc remplie à moitié. (Je passe donc du dernier au cinquième rang) Manque de chance pour cette Puce qui passe au même moment que On ne badine pas avec l’amour et  Amphitryon, œuvres classiques si l’en est, et Peer Gynt, couvert d’éloges par la critique et que je vais voir jeudi prochain.

                Et pourtant la pièce mérite largement d’être vue ! Utilisant le cadre de la Peste qui empoisonne Londres et l’Angleterre au XVIIème, Wallace enferme ses quatre (plus un) personnages dans un huis clos. Ce ne sont pas les réactions de chacun face à la peste ou la mort qui se révèlent, mais leur vraie nature. Le texte est beau et sincère, sans paraître trop distant ou compliqué. Les acteurs sont, comme à leur habitude, excellents.

http://www.rfi.fr/sites/filesrfi/imagecache/rfi_43_large/sites/images.rfi.fr/files/aef_image/p_120416_RdL_0016_0.jpg

 Je l’ai vu comme l’équivalent d’un Shakespeare moderne. On peut se plaindre de quelques répliques vulgaires, pour un sujet si grave que la peste. Mais même les plus grandes tragédies de Shakespeare contiennent de bons puns anglais qui font rire de nos jours les plus savants, mais qui à l’époque faisait rire toute la plèbe ! Ici quelques répliques clairement sexuelles, peu d’humour avec finesse mais du gros potache, surtout venant du personnage du gardien Kabe. Mais Shakespeare surtout car les personnages sont méticuleusement étudiés.

Le couple anglais est le plus cliché possible. Enfermés tous les deux dans des costumes noirs, le cou dans une fraise, ils font penser à des personnages de Vermeer. Snelgrave est un personnage autoritaire, membre influent de l’administration royale. Il cite volontiers des passages de la Bible et crie volontiers « Pas dans ma maison » dès qu’un acte ou une parole parait déplacé, mais avoue avoir couché avec les servantes et s’intéresse beaucoup à la façon dont Bunce satisfait ses pulsions sexuelles lorsqu’il part en mer avec des hommes. C’est le personnage le plus marxiste de la pièce. Il enseigne ainsi à Bunce que celui-ci ne pourra jamais porter de chaussures de gentilhomme car il est serviteur. Il ne donne rien mais jette à terre ou attend que l’on vienne chercher. Il est une des autorités de la Marine Marchande, mais a le mal de mer. Il a des rêves sur les voyages en mer, les destinations idylliques. Snelgrave semble prendre un choc en apprenant la réalité. C’est le personnage qui évolue peut-être le moins, les autres évoluant surtout par rapport à lui. Galienne confère au personnage tous les aspects nécessaires. La gravité qui paraissait décalée dans La Trilogie va ici très bien.

Le personnage de sa femme est le plus intéressant. On apprend à mi-chemin qu’à 17 ans, deux ans après son mariage, elle a été brûlée quasi intégralement. Son mari ne l’a plus jamais touchée ensuite. Coincée et puritaine, obéissante à son mari, grâce aux deux jeunes personnes qui rentrent dans la maison, elle se libère enfin  et se rend maître d’elle-même, et femme, enfin. Elle finit par ligoter son mari avec les deux autres. Il mourra ainsi pendant la nuit, non pas de la peste, mais comme si quelqu’un d’aussi pourri ne pouvait pas de toute façon vivre éternellement alors que tant d’innocents meurent de la peste non loin.

Morse régit la pièce, elle relie les petits scénettes qui forment l’œuvre. Femme du peuple, servante, pragmatique, sans éducation, elle fait ce qu’il vaut pour arriver à ses fins. Elle autorise ainsi le gardien à lui lécher/sucer les doigts de pied pour un morceau de sucre et un fruit. Elle ne rougit pas quand elle vole, ment à peine pour se protéger et accepte de dénoncer pour être libérée. A la fin de la pièce, elle accepte de tuer Madame Snelgrave de sang froid. C'est encore une enfant, elle découvre la vie et se forge son identité. Lorsqu’elle l’a tuée, on commence à voir un peu d’humanité en elle avant que lahttp://www.webthea.com/local/cache-vignettes/L327xH490/puce_2-31fe5.jpg lumière ne s’éteigne.

                Bunce enfin est un matelot qui aurait dû mourir bon nombre de fois mais a survécu avec une blessure incurable. Il s’attire ainsi tout de suite l’amabilité de Mme Snelgrave. Il va lui permettre de renouer avec la sensibilité, retrouvant des endroits que les brûlures auraient épargnés, ne demandant rien en retour. Il est un vent frais, un courant d’air qui passe dans la maison pour libérer les autres. C’est le seul qui sort de la maison et survit à la fin de la pièce. Il a déjà beaucoup vécu avant la peste, il continuera à vivre après.

                Peu de choses à dire sur la mise en scène. Elle ne bloque pas la pièce, montre bien un huis clos qui s’éternise avec les murs qui s’allongent. Mais s’il n’y avait rien eu, ca n’aura pas changé grand-chose. En revanche, entre chaque scène, la lumière s’éteint et d’énormes néons visés vers le public nous éblouissent et du clavecin enregistré nous crie dessus depuis les enceintes. L’ensemble est assez énervant.

                Les deux heures passent vite, malgré quelques longueurs. On a pitié de ces personnages, on les déteste, on s’amuse. On ressent vraiment quelque chose. Et ne vous fiez pas au vide de la salle, tout le monde semble apprécier. Car il faut bien accepter que le Français sache jouer autre chose que Molière.

(Photos du Figaro et de la Comédie Française)

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