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La Loge d'Aymeric

Itinérances: tournée de Nicolas Le Riche

17 Avril 2014, 07:54am

Publié par La loge d'Aymeric

Petit tour en province pour assister à la première de la tournée d'adieux de Nicolas Le Riche, Itinérances. Si les adieux officiels sous les ors de Garnier seront pour le 9 juillet, le danseur étoile a choisi quelques villes pour présenter son spectacle, qui finira (légèrement modifié) au Théâtre des Champs en novembre prochain.

 

Pour l'accompagner, différents artistes que Le Riche a côtoyés. Sa femme Clairemarie Osta que l'on retrouve avec plaisir après ses adieux il y a deux ans et ses malheureuses péripéties du CNSMDP; la superbe Isabelle Ciaravola qui danse de nouveau après son ultime Onéguine et que nous ne reverrons pas danser de sitôt malheureusement; enfin, Russel Maliphant que Le Riche a connu à Londres et que je voyais pour la deuxième fois.

 

Le programme n'avait pas pour vocation de rendre hommage au danseur étoile et de retracer sa carrière mais plutôt de montrer quelque chose de bien plus personnel, des pièces qui lui tenaient à coeur. La force des interprètes a permis de combler quelques aléas de la programmation.

 

Le choix du lieu, ici la Maison de la culture d'Amiens, rend la soirée bien plus sympathique, voir des danseurs d'aussi près est extrêmement rare. C'est donc depuis le premier rang que j'ai vu ce spectacle et ces danseurs. Heureusement, cette salle brisait les distances habituelles; certaines de ces pièces auraient été quelque peu perdues dans l'immensité d'une grande salle comme Garnier. Je crains d'ailleurs un peu le passage au Théâtre des Champs Elysées.

 

La soirée s'ouvre avec un duo entre Maliphant et Le Riche, Critical Mass. Cela commence par une sorte d'échauffement où les deux danseurs tels deux aimants ne se lâchent pas, se battent et testent leur réactivité l'un par rapport à l'autre, le tout dans une ambiance plutôt zen. Ensuite, on passe à une sorte de tango sur une musique latinos.

 

C'est dans la force des interprètes que réside le succès de cette pièce. Je les vois sourire et se sourire mutuellement. La chorégraphie est dans l'ensemble bien simple, au mieux des étirements de bras, sinon des expressions physiques de déhanchement, de pieds qui se tordent. Une certaine sensualité mais surtout beaucoup de virilité ibérique.

 

On retrouve Maliphant dans une autre de ses chorégraphies un peu plus tard, le solo Shift qui part d'une belle idée mais n'arrive pas à grand chose. Grâce à l'inclinaison des projecteurs et aux toiles du fond, un, deux, trois ou quatre ombres de Maliphant se projettent. Suivant sa position et ses mouvements, les ombres apparaissent, disparaissent, se tordent et on a alors l'impression qu'il y a plusieurs personnes présentes dans des postures différentes. Finalement c'est Peter Pan qui s'amuse avec son ombre qui lui échappe.

 

Mais au delà de cette idée technique, la chorégraphie reste bien vide. Au bout de quelques instants, je finis par me lasser. Néanmoins je sens une sorte d'introspection de Maliphant qui semble très concentré dans chacun de ses mouvements, presque un combat contre lui même.

 

Autre danseur-chorégraphe, Le Riche nous présente sa dernière création, Odysseus, qu'il danse avec Osta. Je trouve toujours cela intéressant de voir un couple 'réel' danser ensemble, surtout lorsque le thème est aussi fort que la séparation d'Ulysse et Pénélope.

 

Dans un premier instant, dans le noir, on voit Le Riche porter Osta de trois ou quatre manières différentes, comme un lointain souvenir du temps où ils étaient ensemble. Puis la lumière s'allume et ils commencent à danser dos contre dos, comme si un mur les séparait. Osta a peur, elle court, Le Riche la rattrape. De toute la pièce ils ne se regardent dans les yeux qu'une ou deux fois. Les thèmes de l'éloignement et de la peur de la solitude permettent de créer une atmosphère de stress plutôt pesante qui réussi à s'alléger lors de certains portées bien plus aériens et lents. Les bras de Le Riche disparaissent dans des tourbillons derrière une Osta presque terrorisée. Une jolie émotion et une certaine densité pour cette pièce portée par deux artistes forts.

 

Le Riche a également choisi de rendre hommage aux chorégraphes avec qui il a travaillé dans le passé: Angelin Preljocaj, avec qui il avait par exemple travaillé le Parc et Roland Petit qui avait créé Clavigo pour Osta et lui.

 

Ciaravola et Osta dansent donc le duo Annonciation de Preljocaj, précurseur en ce jeudi saint. J'avais pu voir cette pièce biblique lors du festival Paris Quartier d'Été, à cette occasion la compagnie Preljocaj avait dansé l'oeuvre dans l'église Saint Eustache, un cadre parfait!

 

Ici, comme un peu déjà à l'époque, j'ai trouvé que la pièce datait vraiment. La musique semble venue directement des premières années de l'électro encore balbutiante, et je vois mal l'archange Gabriel(le) venir devant Marie sur une musique de vortex. (Sans doute suis-je trop romantique.)

 

Mais la chorégraphie, bien que si marquée Preljocaj, est intéressante, à commencer par l'arrivée de l'ange qui se présente à Marie comme dans l'Annonciation de Botticelli. Avant cela, Marie est balbutiante, mal dans sa peau, ne comprend pas ce qui lui arrive alors qu'elle devient femme. L'ange vient alors la guider dans sa métamorphose, lui montre comment se tenir, comment bouger. Son baiser semble donc une transmission, un acte de passage symbolique qui permet à Marie de devenir réellement une femme.

 

Osta réussit comme souvent ce rôle de femme faible, mal dans sa peau, qui apprend à se maitriser. Puis elle se transforme en la femme et danseuse forte et attentionnée que l'on connait. Je garderai longtemps l'image d'elle dans l'épisode de la Cuisine d'Appartement de Mats Ek, montrant le bébé mort à un Jérémie Bélingard tétanisé. Ciaravola arrive comme un ange plutôt étonnant, mais qui se révèle bien pédagogue, avec des étreintes, des embrassades et une jolie délicatesse du mouvement.

 

Mais là où Ciaravola se révèle réellement c'est dans sa prise de rôle dans Le Jeune Homme et la mort de Roland Petit, indéniablement le moment fort de la soirée. Ciaravola apparait telle que dans Le Rendez Vous de Petit, une femme fière, cynique, moqueuse. Sans doute l'inspiration corse. Son teint blanc et ses cheveux noirs finissent ce personnage bien taillé.

 

Elle a parfaitement compris le rôle, tant dans les moments plus techniques comme les développés, ou les coups de pointes, mais surtout dans les moments plus caractériels. Ainsi sa façon de tourner autour de la table, sa façon de cracher la fumée sur Le Riche ou encore son sourire sordide et son rire sourd alors qu'elle s'échappe. Réellement une fascinante découverte.

 

Quant à Le Riche, je l'avais déjà vu dans ce rôle à Garnier il y a quatre ans. À ce moment là néanmoins il y avait l'intégralité du décor et une musique bien plus correcte que cet enregistrement. La poutre comme la table sont un peu tremblantes mais réussisent à tenir.

 

Nicolas Le Riche y est magique, le terme de jeune homme s'applique sans problème pour la danse, même s'il donne un aspect plus mature au personnage. Je finis par ne plus m'étonner de ses capacités, tant tout est parfait, ses sauts, ses expressions, ses postures (même sur une table chancelante et une potence branlante). Je n'ai simplement pas lâché ce couple des yeux et n'ai pas décroché mon sourire.

Itinérances: tournée de Nicolas Le Riche
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